Imprimer

Suite à ses diverses et nombreuses recherches , récit élaboré  par Serge POUZOL

A nos morts (1)  :

Publié dans Roue Libre, n°483, novembre-décembre 2022

On ne les entend pas, on ne les remarque plus. Ils sont dix. Ils sont là à toutes nos réunions. En deux rangées comme peut-être sur les routes lors de leurs sorties ou sur piste lors de leurs entraînements ; ils sont toujours dans le même ordre : Georges et Etienne, Ernest et Victor, Jules et Elie, Léonce et Fernand, Marcel et Georges.
Depuis que je fréquente les locaux du club, ils m’ont intrigué. Lors des discussions et des débats qui se prolongent durant les réunions du Comité Directeur, mon attention parfois s’échappe et divague, mon regard se tourne vers eux et je m’étais promis de chercher à savoir qui ils étaient.

Ils sont jeunes, entre 19 et 25 ans pour la moitié d’entre eux, de 27 à 31 ans pour les autres ; c’est l’âge de la plupart des membres de ce club sportif associant compétition et sorties. Les premiers sont encore étudiants, les plus âgés déjà installés professionnellement : un employé de commerce qui a quitté Montauban pour s’installer à Marseille, un quincaillier venu de Finhan, un confiseur, un tapissier décorateur, un tailleur, un menuisier. Ils ont tous la même passion, le cyclisme, qui les a conduit à adhérer au Véloce Club Montalbanais, une association créée bien avant même la naissance de chacun d’eux. Il faut dire que « la vélocipédie fait dans notre ville de rapides progrès. Depuis l’ouverture de la saison, le nombre de cyclistes a presque doublé et ce mouvement paraît aller en s’accentuant à l’approche des beaux jours.

Les dames, elles-mêmes, deviennent fanatiques du vélo. Nous citerons au premier rang, la toute charmante Mme Yvonne R…, qui a donné l’élan et qui, dans un costume du dernier chic, fait à son passage l’admiration de tous nos gentlemen. »[1]

Je les vois, équipés de vélos « modernes », fréquentant les fabricants, marchands et réparateurs de cycles de la ville, Couderc[2], Rouquette, Treille ou Bonnafous[3]… avec lesquels ils discutent des Plaque de nos morts dernières innovations, l’usage de la roue libre, ses avantages et ses dangers dans les descentes sur des routes certes carrossables mais au revêtement incertain ; le dérailleur qui a conduit à de multiples expérimentations jusqu’à ce qu’un concurrent en mette un au point et l’utilise pendant le Tour de France[4] : innovation tellement révolutionnaire quelle y sera interdite pour les professionnels encore pendant 25 ans ! D’ailleurs Henri Desgranges, ce grand champion, n’y est il pas opposé, lui qui aurait déclaré ‘"J'ai toujours l'impression que la polymultiplication, c'est bon après quarante-cinq ans. N'est ce pas préférable de triompher à la force du mollet plutôt que par l'artifice d'un dérailleur ? Nous nous ramollissons... Quant à moi, donnez-moi un pignon fixe !" Le débat oppose certainement les purs cyclistes et les randonneurs et la revue « Le cyclotouriste » confronte les arguments de Desgranges et de P. De Vivié dit Velocio.[5] Sans doute cela alimentait-il les discussions dans un club où se côtoyaient des compétiteurs professionnels ou amateurs sur piste ou sur route, et des adeptes des sorties organisées par la commission du tourisme.

Lors des manifestations cyclistes, je les vois se presser au bord de la route ou de la piste du VCM sur le cours Foucault puis sur le vélodrome de Sapiac pour applaudir et encourager les champions dont parle tout le monde sportif. Ils admirent les concurrents en particulier le stayer du club Jean Gaillard, champion de demi-fond qui a couvert près de 49 km dans l’heure et 72 km derrière derny en 1909 ou 1910. Après avoir couru sur cycles Rouquette[6] (1905-1906), il roule pour Gladiator dont le représentant, Treille, est membre du comité du VCM et tient un magasin Rue de la Mairie[7]. Ils évoquent encore leurs souvenirs du passage du Tour de France et des champions qu’ils ont pu admirer, en particulier le « forgeron de Grisolles »[8] et qu’ils rêvent d’imiter.[9] D’ailleurs, ils ont certainement gardé et partagé les articles de presse relatant leurs exploits[10]. Le Véloce Club Montalbanais y fait assez souvent publier des informations ; certains de ses membres y sont cités pour des victoires ou des places d’honneur dans les compétitions locales, régionales ou même nationales.

Je les vois participer aux sorties et randonnées du club, partager un casse-croûte au bord de la route et peut-être se mesurer lors des compétitions dont la classique Montauban – Caussade et retour (40 km) remportée en 1907 par Caussade du VCM, professionnel en 1h19. Ils se glissent quand ils le peuvent dans la roue de bons rouleurs du club comme José Nat ou Joseph Bastit.

Ils ont aussi malheureusement en commun d’avoir été tués pendant la Grande Guerre, celle qui vingt ans plus tard deviendra la première guerre mondiale. Leurs noms sont gravés sur des languettes de laiton au centre d’une très belle plaque accrochée au mur du siège de notre association. Elles sont surmontées et encadrées d’un décor sculpté classique pour ce genre d’objet. Deux branches coupées, de chêne sur la droite et d’if ou de laurier sur la gauche sont liées à la base par le nœud élaboré d’un ruban. Au-dessus, un autre décor végétal de feuilles laurées complète la composition avec la dédicace : le « VCM à ses morts. » La croix de guerre sert de lien entre les deux dates 1914 – 1918. Deux languettes vides, en bas, interrogent.

Il s’agit là d’une plaque commandée par le club pour commémorer ceux de ses membres qui sont tombés au front. Le décor, inspiré de l’Antiquité grecque et romaine, explicite la symbolique : la force et la puissance du chêne exalte les vertus civiques et militaires et la gloire tout comme le laurier. L’if, à la verdure permanente, figure l’immortalité. Le nœud rubané évoque la fraternité et les liens entre les combattants mais aussi entre ceux qui sont tombés et ceux qui se rappellent, et parmi eux, certains qui ont partagé ces longs mois de conflits et qui en sont revenus.

Comme pour tous les monuments de l’époque ont dû se poser les mêmes questions, avec des discussions sur les choix, sur différentes propositions peut-être ? Allait-on inscrire les noms par grade, par date de décès ou de disparition ? par ordre alphabétique ou par âge ? Les archives disponibles[11] ne permettent pas d’y répondre. On a opté pour l’ordre alphabétique en deux colonnes qui se succèdent, en laissant la possibilité d’adjoindre encore les noms de disparus. Il fallait en effet attendre un jugement pour constater et enregistrer leur décès officiellement à l’état civil : ainsi, sur les 509 disparus du 11e RI de Montauban, ces jugements vont s’échelonner de 1916 à 1927 et seront surtout prononcés en 1920 (379) et 1921 (86).[12]

L’absence de comptes-rendus dans les archives entre janvier 1908 et fin décembre 1920, puis en 1921 et 1922 ne permet pas de savoir quand et par qui fut faite la proposition : des camarades du VCM revenus de la guerre comme José Nat, Jacques Devécis, Joseph Bastit, Adolphe Poult (dit Gervais)… ou d’autres, parents endeuillés, membres du comité directeur… ?

Lors de la réunion du 18 mars 1924, il est noté que « le Comité rappelle que la plaque commémorative des morts du club pendant la guerre n’a pas encore été établie. Elle (sic) demande que le Président fasse afficher ce tableau dans la salle du club dans le plus bref délai possible. Le Président charge M. Delpouys[13] de s’entendre avec M. Batut pour la confection immédiate de ce travail. […] »

Le 14 novembre 1925, « M. Poult rappelle qu’on avait envisagé la création d’un album de photographies des membres décédés. Il insiste pour qu’on donne suite à cette idée. On aborde ensuite la question d’une plaque aux morts de la guerre et on apporte la promesse de M. Batut de voir figurer cette plaque au club avant fin novembre. »

Pourtant, le 2 janvier 1926 « M. Viguié expose que le camarade Batut surchargé de besogne donnerait ce travail à faire à un sculpteur qu’il faudrait évidemment rémunérer. On décide de voir M. Batut avant de prendre une décision. »

Le 6 mars 1926 est constaté que …« M. Batut [est] trop occupé pour en assurer l’exécution. MM. Le Président et vice président se chargent d’entrer en pourparler avec M. Charbonneau au sujet de cette affaire. M. Bousquet de son coté en parlera à M. Lagrange, menuisier ébéniste à Sapiac. »

Finalement, le 1er mai 1926 « on vote une somme de 150 francs »

On peut donc supposer qu’elle a enfin été réalisée et exposée dans le local du club.

Lorsque la plaque a enfin été réalisée, qu’elle a été accrochée sur les murs du club, sans doute dans les mois suivants puisque aucune discussion ne revient sur le sujet , y a t’il eu une cérémonie, un discours ? Une minute de silence pour suivre l’instauration récente de ce moment de recueillement[14] en souvenir et en l’honneur de ceux qui sont tombés ? J’ose le croire d’autant que nombre de sociétaires avaient participé à cette guerre. Mais les archives sont muettes sur ce point, et j’ai souhaité partager les recherches réalisées pour cet article et nous rappeler le souvenir de ces quelques membres fauchés dans leur jeunesse.

[1] Journal des Sports, 19 mars 1894 mais il faudra attendre 1923 pour que le bureau du VCM envisage l’adhésion des « dames de sociétaires… comme membres honoraires lorsqu’elles voudront participer aux sorties du club. » et 1943 pour la création d’une section féminine.

[2] P. Couderc, constructeur, tenait un magasin de cycles –automobiles – carrosserie rue St Louis et 21 rue de la République ; ses ateliers étaient rue Sainte-Claire.

[3] Un magasin de cycles Bonnafous se situait avenue de Pomponne dès 1911 (AD : Annuaire du Tarn et Garonne)

[4] Mis au point par un artisan fabricant de vélo, Joany Panel, inscrit au tour de 1912.

[5] Le cyclotourisme, 1/2/1910 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9580898q/f4.item

[6] Louis Rouquette, constructeur mécanicien, avait son magasin 115, Rue Lacapelle.

[7] Treille Jean, Clément, né en 1869, bijoutier graveur puis ajusteur mécanicien, qui a été « affecté comme vélocipédiste au 11e RI suivant l’ordre de M. le Général Commandant le 17e Corps d’Armée du 20 janvier 1900 au 1er novembre 1903. »

[8] Jean Dargassies, un amateur qui s’est inscrit au Tour de France 1903 et1904 où il finira 11e puis 4e

[9] C’est peut-être aussi le cas de Joseph Bastit, lui aussi « forgeron » puis « mécanicien en cycles et auto », admis au VCM le 17 novembre 1906.

[10] l’Auto-Vélo, Le Journal des Sports ou Le Vélo.

[11] Comptes-rendus des séances du VCM 1906-1950, déposés aux Archives Départementales du Tarn et Garonne.

[12] Ségalant Laurent, Mourir à Bertrix, Le sacrifice des régiments du Sud-Ouest, 22 août 1914, Privat, 2014, page 923.

[13] M. F. Delpouys tenait une horlogerie-bijouterie, 21 Place Nationale.

[14] En France, le 11 novembre 1922 : cf. Boucheron Patrick, in L’Histoire n°498, juillet-août 2022.

Suite:

 A nos morts (2) Ceux de 14

Publié dans Roue Libre, n° 484, janvier-février 2023

Ils sont donc dix, tombés entre 1914 et 1918. Cinq (la moitié d’entre eux), sont tombés dans les premières semaines de la guerre en 1914, sur la frontière en Belgique. Les évoquer par ordre chronologique du décès ou de leur disparition nous amène à « revivre » le déroulement du conflit, les conditions et les circonstances de leur disparition, parce que derrière la froideur des statistiques, les listes de noms gravés sur les monuments aux morts de nos villes et de nos villages, de notre club, il y a eu des hommes, des hommes qui ont vécu, qui ont souffert, qui ont partagé les dures conditions de vie et de combat, se sont peut-être pour certains croisés au hasard des relèves, des temps de repos à l’arrière, occasion d’échanger des souvenirs, des nouvelles du pays, des espoirs…

1914

1. La mobilisation et la concentration

L’ordre de mobilisation a été affiché dans toutes les mairie le 1er août 1914. Dès 17 heures, tambours et clairons parcouraient Montauban et alertaient la population. Nombreux étaient les jeunes hommes déjà sous les drapeaux dans les casernes de Montauban ou de Castelsarrasin[1] appelés avec leur classe ou ayant devancés l’appel. Certains rejoignent Cahors ou Albi. D’autres, récemment libérés de leurs obligations militaires étaient directement mobilisables et se pressaient de rejoindre leurs cantonnements. Je les vois réunis et s’équiper dès le 2 ou le 3 août dans les casernes puis s’embarquer à partir du 5 dans les trains réquisitionnés pour les conduire vers les frontières du nord de la France. Ils ont fière allure avec le pantalon rouge garance serrés de guêtres, la capote gris bleu, la musette, les cartouchières, le havresac pour les vêtements de rechange, la gamelle, les couverts… le fusil Lebel et le porte baïonnette, la demi couverture roulée… 35 kilos de matériel !... Ont-ils eu le temps d’embrasser leurs parents, leur épouse , leur promise ? Etaient-ils aussi enthousiastes que la propagande l’a dit ? Par fanfaronnade, par peur de se distinguer, par fierté n’ont-ils pas cachés leurs craintes, leurs sentiments ?

Les régiments présents à Montauban relèvent de la 17e région militaire de Toulouse. Pour l'infanterie du 17e corps d'armée, le 11e et le 20e de ligne font partie de la 66e brigade d'infanterie relevant de la 33e division d'infanterie. Le 132e régiment d'infanterie territoriale et le 17e escadron du train des équipages militaires sont également rattachés à Montauban. Enfin, la cavalerie est présente avec l'escadron du 10e Dragons.

Le 11e RI embarque l’ensemble de ses effectifs et matériels le 5 août en trois convois échelonnés à 15 h, 21 h et 2 h du matin le 6: 3348 officiers, sous-officiers, soldats ; 29 chevaux d’officiers, 110 chevaux de traits en grande partie réquisitionnés, 30 fourgons de vivres et bagages, 3 voitures médicales, 3 voitures à viande, 2 voitures d’outils, 12 de munitions, 3 caissons de munitions de mitrailleuses, 1 forge, 4 voiturettes de mitrailleuses. Et c’est parti pour quarante quatre heures de voyage… puis une fois débarqués à Suippes dans la Marne se succèdent des marches de 12 à 25 kilomètres par jour (une de 50…) pour se retrouver sur les frontières du nord et du nord-est, passer en Belgique et se porter face aux « Prussiens ». Il en va de même pour le 7e RI (Cahors).

 

2. La bataille des frontières : Bertrix, 22 août 1914

« Ce fut du côté de Bertrix, au nord des confins de la Belgique et de la France, que le 83e Régiment d'Infanterie prit pour la première fois le contact de l'ennemi. La région est très accidentée, boisée et coupée par une entaille profonde où, entre deux rives hautes et tombant à pic, la Semoy coule sur un lit étroit.. »[2]

« Le 22, l’ordre général est donné d’attaquer l’ennemi partout où on le rencontrera, et l’armée entame son mouvement vers le nord, objectif de la 66e Brigade : Ochamps par Bertrix. […] Ce mouvement ne s’accomplit pas sans pertes et le combat redouble de violence. L’ennemi, installé dans des tranchées bien construites, protégées par des fils de fer, fusille à coup sûr les troupes françaises surprises. Celles-ci luttent avec un beau courage, bien qu’obligées de se déplacer dans un bois touffu et sous un feu violent. De nombreuses factions irritées de ne pas avoir d’objectif visible essayent d’aborder l’ennemi à la baïonnette. Il en est ainsi, par exemple, pour une section de la 7e … ou de la 5e a peu près complètement anéantie en courant à l’ennemi. […]Mais toutes les attaques échouent sur les fils de fer. Cependant la canonnade et la fusillade ont redoublé, les rangs sont bien éclaircis et les Allemands prennent l’offensive à leur tour. Le repli est ordonné. […] Puis toutes les troupes décimées battent en retraite vers le sud par Bertrix et le 23 août au matin quand le colonel Appert rassemble sur la place de l’église d’Herbemont les débris de son régiment [le 20e RI], l’effectif total en est de 524. »[3]

Ce 22 août est le jour le plus meurtrier de l’histoire de France[4] : 27000 morts sur les 400 km de front. Les pertes du 11e RI s’élèvent à 2034 dont 2004 disparus ; celles du 7e RI 684 dont 609 disparus.

Il y a parmi eux Arnaud, Jules, Ernest, Georges Buguin. Il a fait ses études au lycée Ingres ; devenu étudiant, il avait devancé l’appel à 18 ans en s’engageant volontairement pour trois ans à la mairie de Montauban le 3 octobre 1911. Etait-ce pour se libérer des obligations militaires et reprendre ensuite des études ou pour suivre et reprendre la voie tracée par son oncle et son père, tous deux capitaines de carrière dans les régiments du train des équipage ? Un père dont il n’a dû avoir que les souvenirs transmis par sa mère, Amélie Larroque : ce capitaine au 17e régiment du train à Montauban est parti en campagne et va mourir loin des siens à l’hôpital n°1 du Corps expéditionnaire de Madagascar à Majunga le 2 juin 1895, alors que son fils n’avait que deux ans. Son acte de décès retranscrit dans les actes d’état civil de Montauban rappelle ses titres et décorations : Chevalier de la Légion d’Honneur, médaille du Tonkin, Chevalier de l’Ordre Royal du Cambodge témoignant des campagnes militaires et coloniales de la France des débuts de la IIIe République auxquelles il a participé.

De bon niveau scolaire, Georges est monté rapidement en grade :caporal 6 mois après son incorporation au 11e RI, sergent un an et demi plus tard. Libéré le 21 octobre 1913, il est rappelé à la mobilisation dès le 1er août et nommé adjudant à 21 ans. Il tombe le 22 août. Sa famille n’a aucune nouvelle et fait paraître à plusieurs reprises une annonce dans le journal de la recherche des disparus[5]. En fait, il décède de ses blessures de guerre en captivité le 1er septembre 1914 à l’hôpital de Bertrix. L’Express de Toulouse et du Midi communiquera la longue liste des soldats tués et inhumés à Bertrix dans son numéro du 7 juillet 1919 et pourtant son décès ne sera officiellement prononcé par jugement que le 17 mars 1920.[6]

Peut être avait-il sous ses ordres, un copain du VCM, Louis dit Victor Texier. Né à Limoges en 1895, devenu orphelin, il vient vivre chez son oncle par alliance et son tuteur M. Devécis, horloger rue de la République[7]. Il s’était engagé volontaire pour 3 ans en avril 1913 et part avec le 11e RI. Il est signalé sur un acte parvenu au service général des pensions comme disparu antérieurement au 20 décembre 1914. Déclaré décédé le 22 août 1914 par jugement du 19 juillet 1921.

Elie Louis Joseph Roques, 23 ans, menuisier, quant à lui est parti de Toulouse avec le 83e RI le 6 août. Il passe la frontière belge le 21 août et fait partie des disparus du 22 août à Jéhonville (Bertrix). Décès enregistré par jugement du 28 septembre 1920. « Brave et dévoué soldat. A été mortellement frappé, le 22 août 1914 au combat de Géhonville en faisant tout son devoir. Croix de guerre avec étoile de bronze. »[8]

 

3. La bataille des frontières, la course à la mer : Flandre et Yser

 

Léonce Larroque, tapissier décorateur, est fils d’un marchand boucher de Villebourbon, né le 13 avril 1883. Il a fait ses études au Lycée Ingres et s’est marié en octobre 1913 avec une jeune veuve Marceline Issoulan. Le 8 septembre 1914, quelques jours après la déclaration de guerre, va naître son fils prénommé Léonce Lucien Roger. Est-ce parce qu’il va devenir père de famille qu’il n’est rappelé que le 5 octobre 1914 pour rejoindre le 142e Régiment d’infanterie dans le 1er bataillon de la première compagnie. Ce régiment vient de subir le feu en Lorraine où le 18 août 1914 il a perdu son chef et son adjoint, 27officiers et 1.150 hommes, avant de battre en retraite tout en combattant. « Le régiment quitte la Lorraine pour la Belgique, renforce le 15 (octobre) les Anglais dans la région de Soissons[…] Le 26 octobre, le régiment est en Belgique (…) pour aller doubler les Écossais fortement bousculés à Zonnebeke.

Les tranchées sont étroites, peu profondes, partiellement remplies d'eau; Français et Anglais y sont coude à coude et attendent, l'arme haute, le moment de l'attaque. (…)Les 1er et 2ème bataillons doivent s'emparer coûte que coûte du village de Gheluvelt. Il faut un succès dans la journée: l'ordre est formel. (…) La bataille fait rage toute la nuit sous une pluie diluvienne. La boue des Flandres envahit tout, rend la liaison et le ravitaillement excessivement pénibles. Les armes ne fonctionnent plus. Les combattants n'ont plus que leur baïonnette et leur courage pour arrêter l'ennemi qui se rue en vagues profondes sur les tranchées. Belges, Anglais, Français unissent leurs efforts pour barrer la route d'Ypres et réussissent à fixer l'ennemi. Les Allemands subissent de lourdes pertes. Tous les coups portent dans ses formations profondes. Le courage des combattants en est quintuplé. […] Tous ces efforts ont coûté au régiment de lourdes pertes.

Léonce Larroque,31 ans,  « se trouvait dans une tranchée lorsque ayant aperçu son lieutenant grièvement blessé, il s’élança, malgré la violence du feu de l’ennemi, pour lui porter secours. A peine était-il sur le rebord de la tranchée qu’une balle le frappait à l’aine et, quelques heures après, il expirait au moment où ses camarades espéraient que la blessure n’était pas mortelle. Mort au champ d’honneur »[9]. « Brave soldat courageux, tué le 2 novembre 1914 à Veldoeck en portant secours à son lieutenant blessé. A été cité »[10].

Jean Marc Etienne Pradines, né à Agen en 1890, effectue son service militaire à compter du 10 octobre 1911 ; il est nommé caporal le 25 septembre 1912 ; en novembre 1913 il passe à la réserve et retourne dans sa famille à Finhan, où il est employé de commerce en quincaillerie chez son père, place de la Ville. Rappelé le 4 août 1914, en tant que caporal ,dans le 15e RI (Albi) il combat en Lorraine où son régiment perd 20 tués, 443 blessés, 178 disparus dans les engagements du 25 août. Le régiment quitte la Lorraine pour la Flandre.

Le 29 octobre 1914, son unité quitte son cantonnement de Compiègne pour Bailleul (Nord) en train puis la région de Poperinghe (Belgique) en automobile. Le 30 octobre, « dès son arrivée le 2e bataillon reçoit l’ordre de porter deux compagnies sur Kortekeer Cabaret à la disposition du 73e Régiment d’Infanterie Territoriale. »[11]

« 30 octobre. Canonnade excessivement violente. Les tranchées sont attaquées et fortement menacées. (…) La canonnade est épouvantable, les obus tombent de tous côtés autour de nous et sur nous. […] Les opérations se prolongent ainsi jusqu’au 10]. Le 10, l’ennemi attaque violemment sur tout notre front avec des forces importantes. »

C’est dans ces conditions que Jean Marc Etienne Pradines, 24 ans, est déclaré disparu le 10 novembre 1914 à Kortekeer Cabaret, (Belgique) .« Caporal énergique et brave. Mortellement frappé pour la France, le 10 novembre 1914, à son poste de combat. Croix de guerre avec étoile de bronze. »[12] Un jugement du tribunal de Castelsarrasin du 16 avril 1920 déclare son décès. Son nom figure sur le monument aux morts de Finhan pour l’année 1914. Il est inhumé à Weidendreft (Belgique)

[1] 10% de la population montalbanaise était composée de militaires

[2] Historique du 83 e RI, St Girons,192 ?

[3] Historique du 11e RI, Albi, 1920 ( ?)

[4] Steg Jean-Michel, Le jour le plus meurtrier de l’histoire de France, 22 août 1914, Fayard, 2013
cf. https://www.francetvinfo.fr/societe/guerre-de-14-18/le-22-aout-1914-jour-le-plus-sanglant-de-l-histoire-de-france_606567.html

[5] La Recherche des disparus : organe de l'Association française pour la recherche des disparus, 27 février et 12 mars 1916 puis 11 février 1917, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63475992.image

[6] L'Express du Midi : journal quotidien de Toulouse et du Sud-Ouest , 7 juillet 1919 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5385912s/f4.item

[7] Benoît Charles Victor Devecis, horloger bijoutier né en 1854 à Muralto (Suisse) marié en 1883 à Limoges, mais installé à Montauban dès 1884 et un des premiers membres du VCM comme l’indique le vibrant hommage de M. Neulat, ancien président de la commission de tourisme du Véloce, après son décès. (Compte-rendu de réunion du Comité du 5 avril 1924). C’est peut-être lui qui a introduit Louis Victor Texier au club tout comme ses fils André et Jacques. Ce dernier, né en 1886, participera également à la guerre. Ses qualités cyclistes sont reconnues lors de son service militaire : « affecté comme vélocipédiste à la 17e section de secrétaires d’Etat Major et de recrutement pour être employé à la 33e Division. ». Il sera « aux Armées sous les ordres du Général Commandant en Chef » du 4 août 1914 au 10 mars 1919 et cité à l’ordre du régiment le 15 mars 1916 : « Du 22 février au 11 mars 1916 a assuré le service de liaison avec le plus grand courage dans une zone hachée par les tirs de barrage de l’artillerie ennemie. » Décoré de la Croix de guerre avec Etoile de bronze.

[8] Journal officiel du 3 janvier 1924 page 706

[9] Le Midi socialiste, quotidien régional, 24 novembre 1914.

[10] Journal Officiel du 8 novembre 1920.

[11] JMO 15e RI page 36/57.

[12] Journal officiel du 14 novembre 1920 page 18282.

Suite :

A nos morts (3) Une guerre qui dure, s’enterre, se fige, et fauche des rescapés de 1914

Publié dans Roue Libre, n° 485 mars-avril 2023

 1915 : Champagne

Après avoir côtoyé Jean Marc Etienne Pradines dans les rangs du Veloce, Jules Lacassagne, né en 1882, fils d’un huissier du tribunal civil de Montauban, marié en 1908 à Jeanne Marie Augustine Castela est lui aussi rappelé le 13 août 1914 au 15e RI d’Albi. Lui aussi va connaître les combats meurtriers de son régiment en Alsace (Sarrebourg 18-20 août), en Lorraine Rozelieures (le 25 août , 6 officiers tués, 15 blessés, pertes de 633 hommes) et St Mihiel (septembre) puis survit à ceux de Flandre (région d’Ypres). Il s’embarque le 21 février à destination de la Champagne.

 La physionomie de la guerre va se modifier dès les premiers jours de mars 1915. Le commandement a prévu pour cette époque, une attaque de plus grande ampleur » Il participe aux combats de Bois Sabot. « Le 7 mars après une préparation inaccoutumée en ces temps là, le 15e donnait l’attaque au Bois Sabot. […]Les troupes étaient placées à150 mètres des lignes ennemies, dans une tranchée creusée les nuits précédentes. A 10 heures précises, sur le front des deux bataillons, les clairons que l’on n’a plus entendu depuis de nombreux mois de cette guerre sourde, sonnent la charge [j’imagine parmi eux la participation de Jules Lacassagne, nommé soldat musicien en 1912] ; d’un bond, les sections s’élancent d’un même mouvement, hors de la tranchée […] franchissent lestement les réseaux de fil de fer, désorganisés par le bombardement ; d’un bond, elles atteignent la première tranchée allemande. Les Allemands, culbutés, nous laissent des prisonniers et s’enfuient poursuivis par les nôtres qui s’avancent vers la deuxième ligne allemande, s’en emparent et l’organisent. […] Pendant toute la durée de l’attaque et de l’organisation des nouvelles positions, l’artillerie ennemie (lourde et de campagne) bombarde violemment nos nouvelles lignes. […] Le total des pertes éprouvées par le 15e Ri pour les journées du 7 au 13 mars s’élève à 10 officiers tués, neuf officiers blessés, deux officiers disparus, 445 hommes tués ou disparus, 633 blessés. […]

Le 13 mars, le 15e RI relevait le 120e RI dans les tranchées de Mesnil-les-Hurlus.[i] Après avoir été relevé, le régiment revient dans les tranchées du Mesnil le 23 mars, reçoit des renforts tout en subissant des attaques. « Les pertes du régiment s’élèvent du 20 au 31 mars à un officier tué, un officier blessé, 12 hommes tués, 62 blessés »[ii] Parmi eux, Jules Lacassagne, 33 ans, soldat au 15e régiment d’infanterie, a été frappé mortellement, dans une tranchée de première ligne, faisant son devoir. Il laisse une jeune veuve et deux fillettes, à qui nous adressons nos profondes condoléances, en les unissant aux regrets que témoignent ses amis et camarades de la section A. F. de Montauban dont il était un des membres les plus aimés et les plus dévoués. »[iii] décès transcrit à l’état civil de Montauban le 11 avril 1916. 

 1916 : Verdun

Sallèles Fernand (Jean Antoine dit Fernand), employé de commerce à Marseille, né à Montauban le 6 février 1895, 58 rue Sapiac, fils d’un allumeur de gaz, devenu boulanger (recensement de Montauban en 1906) a fait ses études au Lycée St Théodard. Face aux pertes énormes et donc aux besoins en hommes, alors qu’il avait été ajourné en 1914 pour faiblesse., il est déclaré bon absent en 1915 et incorporé le 9 septembre 1915 au 81e RI (Montpellier). Sans doute après avoir fait ses classes, il passe au 176e RI le 28 janvier 1916. Ce régiment, formé à Salon de Provence à partir du 21 mars 1915, est affecté au Corps Expéditionnaire d’Orient.

En fait, Fernand Sallèles n’a pas dû rejoindre le front d’Orient puisqu’au 18 avril 1916 il est affecté au 337e RI alors au repos dans le secteur de Chalons en Champagne : « 22 avril. Arrivée d’un renfort venant du dépôt du 176e RI (Montpellier), du 81eRI, du 122e RI territorial. Ce renfort comprend 1 adjudant, 1 sergent, 1 caporal fourrier, 6 caporaux, 39 soldats. » [iv]

Du 21 au 30 mai, par étape, en camions-automobiles, à pied, en autos, le régiment va rejoindre la citadelle de Verdun . Le 30 mai [entre 18h30 et 19h15 il] gagne le secteur à l’ouest de la ferme de Thiaumont où il relève le 1er bataillon du 126e RI et le 6e bataillon du 300e. La relève est terminée à 22 heures sans incident. »

« Le secteur occupé par le 6e bataillon dans la partie sud du bois Nawé, ne présentait aucun vestige d’une organisation quelconque. Les hommes s’abritaient dans des trous d’obus et derrière de vagues extumescences du sol, à peine reliés par des ébauches de tranchées.

Ce fut le premier ouvrage auquel se consacra le bataillon : construire une tranchée continue sur le front, constituant abri, et reliant notre ligne, à gauche avec le 410e, à droite avec le 5e bataillon du régiment. Cette ligne, dès qu’elle prit figure fut doublée par une autre, dite 1 bis distante de 60 à 100 m.

[…] Devant les deux lignes, un réseau de fil de fer Brun[v] mêlé de quelques éléments de barbelé, sur une faible épaisseur de 1 à 2 mètres. Les travaux ne pouvaient se faire que de nuit ; tout mouvement exécuté le jour, sur la ligne, était découvert par l’ennemi, attirait son feu et provoquait des pertes. Entre les deux lignes, 3 boyaux, un par compagnie étaient amorcés. […] Les nuits étaient relativement calmes. Dans celle du 4 au 5, pourtant, le bombardement prit une grande intensité, comme si une attaque allait suivre. Le 6 juin, midi, l’artillerie ennemie ouvrit un feu violent sur nos tranchées de première ligne avec du canon de 150. Ce tir continua toute la journée..[…] Les éléments de tranchées ont été abîmés, et les hommes doivent passer la nuit à les réfectionner tant bien que mal.

7 juin, dès 3h30, le tir de l’artillerie ennemie se déclenche. Il ne cessera, au cours de la journée, de croître en intensité pour atteindre son maximum vers 15h30, canons de 150 principalement , et parfois quelques rafales de 210, obus percutants. Sous ce bombardement, les tranchées sont nivelées, les abris bouleversés, des groupes d’hommes enterrés, les liaisons rendues extrêmement difficiles et périlleuses pour les coureurs. Néanmoins les hommes restent à leur poste, ayant l’œil à l’attaque possible, déterrant leurs camarades enfouis, et se tenant prêts à leur tour. […] Pertes du bataillon : 87 hommes hors de combat. »[vi]

Parmi eux, Fernand Sallèles, 21 ans, « Soldat brave et dévoué, volontaire pour les missions périlleuses et patrouilles de reconnaissances. Mort au champ d’honneur, le 7 juin 1916 devant Thiaumont (Meuse), Croix de guerre avec étoile d’argent. »[vii] décès enregistré le 30 avril 1916 à l’état civil de Montauban.

 Marcel (Camille Félix) Orlhac est tailleur d’habits né en 1886, fils d’un tailleur et d’une culottière (Estampes Marie), a fait ses études au lycée St Théodard. Il a épousé à 26 ans le 11 mai 1913, une jeune modiste de 18 ans Isabelle Vidal. Ne serait-il pas le fils ou un parent d’un membre du bureau du Véloce, vice président en 1907 et archiviste en 1924 ? Ayant fait son service comme engagé volontaire de 1904 à 1907, il était dans la réserve et a été rappelé le 13 août 1914. Il va donc rejoindre le 81e RI et traverser les épreuves des combats de 1914 en Lorraine, dans la Woëvre, en Flandre et en Belgique ; en 1915 en Champagne puis arriver en 1916 dans le secteur de Soissons (février mars), dans l’Aisne de mai à juillet avant de se retrouver lui aussi à Verdun.

« Après un mois de repos à Châtillon, dans la spacieuse vallée de la Marne, à Vaubécourt dans ce bourg lorrain saccagé, brûlé, pillé par l’ennemi ; après un alerte défilé devant le général Nivelle et le général Grossetti (26 juillet) après une sortie sportive et récréative (31 juillet) animée par l’entrain de tous et par la vaillante humeur du capitaine Lefebvre tué peu de jours après, le 81e est, au matin du 2 août, embarqué sur les légendaires autobus qui, par la fameuse « voie sacrée », jettent dans la fournaise des ravins, que l’obus et le piétinement des légions dévastent, les sauveurs de la Ville Inviolée.

L’ennemi nous presse. Il aborde Souville. Il est, à vol d’obus, à 1.800 mètres des portes de la Ville. Il a pris Thiaumont, bousculé les défenseurs de Fleury. L’angoisse tend toutes les volontés. Chacun « monte » vers le péril avec la conscience qu’il s’agit, comme à la Marne, du sort de notre pays. Dès les bois qui entourent Verdun, bois à demi dépouillé par le perpétuel fourmillement humain, la plus frénétique canonnade que l’on est encore ouïe, martèle l’étendue. Des marmites énormes s’abattent, sur la ville, sur les carrefours, et là-haut, vers les forts, d’innombrables déflagrations hersent incessamment le sol. Chaque soir le cirque des collines infernales, environné d’éclairs, de fusées et de feux de bengale multicolores, moutonne sous une constante et fauve lueur. […] Il faut se terrer et attendre la nuit. Dès que l’ombre permet de jouer avec les mitrailleuses de Fleury, le 81ème reprend son effort non plus par bonds mais par infiltration. […] L’effort lent et méthodique mais puissant et soutenu du 81ème, a rétabli la situation. La ligne Thiaumont-Fleury est redevenue française. »

Une accalmie suit ces terribles instants. Aussitôt les poilus de 81ème en dépit des circonstances, retrouvent leurs précieuses habitudes : ils commencent avec les pauvres moyens dont ils disposent, l’organisation des emplacements. Ils aménagent les trous d’obus en relient quelques-uns, établissent des épaulements sommaires. Il fait chaud et soif. Des braves, risquant les tirs du barrage vont aux subsistances et surtout au « pinard ». Les brancardiers, les musiciens circulent en quête des blessés. Les corvées de munitions se hâtent dans le désert des excavations.[…] Au lieu d’être relevé comme il était prévu, le 81e subit au matin du 8, quoique déjà décimé, un nouvel, un ultime et formidable assaut, assaut que précède et soutient le plus fantastique « pilonnage » de gros et moyens obus. L’ouvrage de Thiaumont, submergé par une houle irrésistible, succombe. Mais les unités qui tiennent la crête de Fleury résistent victorieusement…[viii]

Marcel Orlhac, 30 ans, est tué à l’ennemi le 8 août 1916 à Thiaumont Fleury. Il sera cité « à l’ordre du 81e RI n°49 du 30 avril 1919 : « s’est toujours fait remarquer par son dévouement et son abnégation. A trouvé une mort glorieuse devant Verdun le 8 août 1916 lors d’une puissante attaque ennemie. Décorations : Croix de guerre, étoile de bronze. »[ix]

Il ne verra pas, le 21 août, le général Joffre témoigner lui-même sa satisfaction en accrochant la Croix de Guerre à la hampe du drapeau. Le régiment était cité à l’ordre de la 11ème Armée par l’Ordre Général n° 358 du 25 août 1916 dans les termes suivants :« Régiment qui sous le commandement du Lt-Colonel Rondenay, depuis le début de la campagne s’est toujours fait remarquer par sa belle tenue au feu et sa discipline. Au cours des journées du 4 au 9 août, a disputé le terrain conquis sur l’ennemi par des actions vigoureuses a la baïonnette, progressant de plus de 300 mètres malgré les contre-attaques acharnées des bombardements d’une violence extrême, jour et nuit. A fait des prisonniers, pris 5 mitrailleuses et résisté héroïquement aux assauts jusqu’à la limite des forces donnant ainsi un bel exemple d’abnégation et d’esprit de sacrifice. »

 Jean Georges Salles,, fils d’un pasteur, est né à Mazamet le 10 mai 1892. Il a été scolarisé au Lycée Ingres, puis fait des études de droit. A ce titre, il bénéficie d’un report d’incorporation mais est rappelé le 4 août 1914 au 11e RI, nommé caporal le 25 octobre 1914. Il rejoint son régiment en février 1915 alors que celui-ci est engagé depuis septembre 1914 dans de difficiles combats d’attaques et de contre-attaques sous les bombardements en Champagne (800 morts). Après un temps de repos et de réorganisation dans la Meuse, le régiment reste en réserve derrière les Eparges (avril 1916) puis traverse tout le nord de la France et prend les tranchées en Artois. Georges Salles est nommé sergent en mai 1915. Les combats vont se prolonger jusqu’à la fin septembre puis sur un autre secteur jusqu’en mars 1916. De mars à fin juin, il est en Champagne « Journellement les pistes et les boyaux de communication sont bombardés. Les corvées sont longues et pénibles. C'est la Champagne pouilleuse, grise et déserte ,crayeuse, avec son réseau compliqué de tranchées blanches. La période sans faits saillants est marquée par plusieurs attaques infructueuses de l'ennemi, précédées chaque fois d'un violent bombardement de nos lignes. »

« Le 16 mai 1916, Georges Salles est envoyé à l’Ecole militaire spéciale de St Cyr, pour y suivre les cours d’aspirant. »[x] Il sera nommé aspirant le 5 septembre 1916 alors que depuis juillet et jusque fin octobre 1916, le 11e RI est à Verdun, participe aux combats de Thiaumont, de Fleury, de Douaumont, puis monte en ligne à Haudromont.

Pendant toute l’après midi, l’ennemi a bombardé violemment nos nouvelles et nos anciennes premières lignes. Notre artillerie déclenche à plusieurs reprises des tirs de barrage. Le combat continue à la grenade sur le front de la 10e Cie. A 18h, cette Cie qui a repoussé plusieurs contre-attaques et perdu 3 officiers, et beaucoup, de ses sous-officiers et caporaux, est très éprouvée. La 9e Cie vient prendre sa place, et les éléments de la 10e sont peu à peu retirés en arrière et se regroupent pendant la nuit […] Pendant la nuit, il n’a pas pu y avoir de ravitaillement en vivres à cause de la violence des combats ; les troupes consommaient des vivres de réserve et se recomplètent par des prélèvements sur des petits dépôts constitués aux PC d’Iéna et de Brest. Sur ces dépôts sont également prélevés grenades et artifices »[…][xi]

« La relève c’est la vie, l’espérance. Mais c’est aussi la dernière fatigue imposée à ces hommes qui doivent faire à pied et par des chemins boueux une longue étape après quatre jours passés entre la vie et la mort, jours pendant lesquels ils ont eu pour toute nourriture des biscuits et du « singe » et pour toute boisson de la « niolle » et très peu d’eau. Embarqué à Baleycourt les 30 et 31 octobre, le régiment se trouvait groupé à Ligny-en-Barois, où il allait profiter d’un repos bien gagné. Son succès lui avait coûté cher : 113 tués, 401 blessés, 41 disparus. »[xii]

Parmi eux, Jean Georges Salles, 7e Cie du 2e bataillon, signalé sur l’état des pertes transmis aux archives de la guerre comme décédé le 24 octobre 1916, décès déclaré par jugement du tribunal de Montauban le 13 août 1921. « Tué et enseveli par un obus à Haudromont près de Verdun, à l’âge de 24 ans. Citation à l’ordre du Corps d’Armée : Sous-officier d’élite qui avait donné depuis deux ans les plus belles preuves de bravoure. Placé avant l’attaque du 24 octobre 1916 dans un secteur particulièrement bombardé, a secondé vaillamment son officier. Tué à son poste de combat. »[i]

 

[i] Lycée Ingres, Distribution des Prix du 13 juillet 1917, Montauban, 1917, Arch Dep 82 , BR 184 1917.

[i] Historique du 15e RI, Auch, 1920.

[ii] JMO du 15e RI page 4/58.

[iii] L’Action Française, 18 mai 1915, page 1.

[iv] JMO du 337e RI page 10/25.

[v] Réseau Brun : grosse bobine de fil de fer hérissé de pointes déroulé le long de la tranchée ou du boyau à protéger.
Cf. Le Gall Erwan, « Barbelés en temps de guerre : usages et mémoires », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], https://ehne.fr/fr/node/12204.

[vi] Rapport sur les évènements qui se sont passés sur le front du 6e bataillon du 30 mai au 10 juin 1916, par le chef de bataillon Brochet, annexé au JMO du 337e RI.

Ce JMO comprend trois rapports annexés pour les 6e et 5e bataillons et la 2e compagnie de mitrailleuses concernant « le séjour sur le front ».

[vii] Journal Officiel, 18 mai 1920, page 7421.

[viii] Historique du 81 ème RI (Caporal Gabriel Boissy, Imp. Mistral, Cavaillon, 1918) numérisé par Lucie Alle.

[ix] rapporté aussi au Journal officiel, 6 mai 1920, page 6756.

[x] Lycée Ingres, Distribution des Prix du 13 juillet 1916, Montauban, 1916, Arch Dep 82 : BR 184 1916.

[xi] JMO 11e RI (deux fascicules suivent le déroulement de l’offensive d’Haudromont entre le 24 et le 28 octobre 1916, repris dans l’historique du 11e RI).

[xii] Historique du 11e RI, Albi, 1920 (reprend largement le JMO).